Les Animaux malades de la peste

Les Animaux malades de la peste

Original Text

Representative French Poetry, ed. Victor E. Graham, 2nd edn. (Toronto: University of Toronto Press, 1965): 24-26.

1Un mal qui répand la terreur,
2     Mal que le Ciel en sa fureur
3Inventa pour punir les crimes de la terre,
6     Faisoit aux animaux la guerre.
7Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés:
8     On n'en voyoit point d'occupés
9A chercher le soutien d'une mourante vie;
10     Nul mets n'excitoit leur envie;
11     Ni loups ni renards n'épioient
12     La douce et l'innocente proie.
13     Les tourterelles se fuyoient:
14     Plus d'amour, partant plus de joie.
15Le Lion tint conseil, et dit: « Mes chers amis,
16     Je crois que le Ciel a permis
17     Pour nos péchés cette infortune.
18     Que le plus coupable de nous
19Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
20Peut-être il obtiendra la guérison commune.
21L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
22     On fait de pareils dévouements.
23Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
24     L'état de notre conscience.
25Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
26     J'ai dévoré force moutons.
27     Que m'avoient-ils fait? Nulle offense;
28Même il m'est arrivé quelquefois de manger
29          Le berger.
30Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense
31Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
32Car on doit souhaiter, selon toute justice,
33     Que le plus coupable périsse.
34--Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi;
35Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
36Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
37Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
38     En les croquant, beaucoup d'honneur;
39     Et quant au berger, l'on peut dire
40     Qu'il étoit digne de tous maux,
41Etant de ces gens-là qui sur les animaux
42     Se font un chimérique empire. »
44     On n'osa trop approfondir
45Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
46     Les moins pardonnables offenses:
47Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
48Au dire de chacun, étoient de petits saints.
49L'Ane vint à son tour, et dit: « J'ai souvenance
50     Qu'en un pré de moines passant,
51La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
52     Quelque diable aussi me poussant,
53Je tondis de ce pré la largeur de ma langue:
54Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net. »
55A ces mots, on cria haro sur le Baudet.
56Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
57Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,
58Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal.
59Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
60Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
61     Rien que la mort n'étoit capable
62D'expier son forfait; on le lui fit bien voir.
63Selon que vous serez puissant ou misérable,
64Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Notes

4] In the Middle Ages the word "plague" was taboo. Back to Line
5] Acheron: like the Styx, a river of the underworld. Back to Line
43] d'applaudir: the historical infinitive is equivalent to a past tense. Back to Line
Publication Notes

Fables VII, i, 1678

RPO poem Editors
Victor E. Graham
Data entry: Sharine Leung
RPO Edition
2012
Rhyme
Special Copyright

Second edition copyright © 1965 University of Toronto Press. Reprinted with permission of the publisher, from which written permission must be obtained for any other edition or other means of reproduction.