La Mort du loup
La Mort du loup
Original Text
Representative French Poetry, ed. Victor E. Graham, 2nd edn. (Toronto: University of Toronto Press, 1965): 46-48. From Les Destinées, 1864 (Poëmes philosophiques)
2Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
3Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
4-- Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon,
7Nous avons aperçu les grands ongles marqués
8Par les Loups voyageurs que nous avions traqués.
9Nous avons écouté, retenant notre haleine
10Et le pas suspendu. -- Ni le bois ni la plaine
11Ne poussaient un soupir dans les airs; seulement
12La girouette en deuil criait au firmament;
13Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
14N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
15Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés,
16Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
17-- Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,
19A regardé le sable en s'y couchant; bientôt,
21A déclaré tout bas que ces marques récentes
22Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
24Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
25Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
26Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.
27Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
28J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
29Et je vois au delà quatre formes légères
30Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
31Comme font chaque jour, à grand bruit, sous nos yeux,
32Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
33Leur forme était semblable et semblable la danse;
34Mais les enfants du Loup se jouaient en silence,
35Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
36Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
37Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
38La Louve reposait comme celle de marbre
39Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
40Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
41Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées,
42Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
43Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
44Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
45Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
46Du chien le plus hardi la gorge pantelante,
47Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
48Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair,
49Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
50Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
51Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
52Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
53Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
54Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
55Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
56Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
57-- Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
58Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
59Et, sans daigner savoir comment il a péri,
60Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
61J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
62Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
63A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,
64Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
65Sans ses deux Louveteaux, la belle et sombre veuve
66Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
67Mais son devoir était de les sauver, afin
68De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
69A ne jamais entrer dans le pacte des villes
70Que l'homme a fait avec les animaux serviles
72Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
73Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
74Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes!
75Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
76C'est vous qui le savez, sublimes animaux!
77A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
78Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
79-- Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
80Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur!
81Il disait: "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
82A force de rester studieuse et pensive,
83Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
84Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
85Gémir, pleurer, prier, est également lâche.
86Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
87Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
88Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."
Notes
1] This poem was composed October 30, 1838, and probably revised before publication in the Revue des Deux Mondes, February 1, 1843. The source is Byron's Childe Harold, IV, xxi: "And the wolf dies in silence -- not bestowed /In vain should such example be." Back to Line
5] brandes: heath or under-shrubbery. Back to Line
6] Landes is south of Bordeaux. Back to Line
18] se mettre en quête: to look for a trail (hunting). Back to Line
20] être en défaut: to lose a trail (hunting). Back to Line
23] Loups-cerviers: ordinarily lynxes, here timber-wolves. Back to Line
71] coucher: shelter. Back to Line
RPO poem Editors
Data entry: Sharine Leung
Victor E. Graham
RPO Edition
2012
Form
Special Copyright
Second edition copyright © 1965 University of Toronto Press. Reprinted with permission of the publisher, from which written permission must be obtained for any other edition or other means of reproduction.