La Conscience
La Conscience
Original Text
Representative French Poetry, ed. Victor E. Graham, 2nd edn. (Toronto: University of Toronto Press, 1965): 65-66. From La Légende des siècles, 1859 (II D'Eve à Jésus, ii)
1Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
2Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
3Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
4Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
5Au bas d'une montagne en une grande plaine;
6Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
7Lui dirent: "Couchons-nous sur la terre, et dormons."
8Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
9Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres
10Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
11Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
12"Je suis trop près," dit-il avec un tremblement.
13Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
14Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
15Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
16Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
17Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
18Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
20"Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
21Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes."
22Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
23L'œil à la même place au fond de l'horizon.
24Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
25"Cachez-moi!" cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
26Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
27Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
28Sous des tentes de poil dans le désert profond:
29"Etends de ce côté la toile de la tente."
30Et l'on développa la muraille flottante;
31Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb:
33La fille de ses fils, douce comme l'aurore;
34Et Caïn répondit: "Je vois cet œil encore!"
35Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
36Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
37Cria: "Je saurai bien construire une barrière."
38Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
39Et Caïn dit: Cet œil me regarde toujours!
40Hénoch dit: "Il faut faire une enceinte de tours
41Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
42Bâtissons une ville avec sa citadelle,
43Bâtissons une ville, et nous la fermerons."
44Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
45Construisit une ville énorme et surhumaine.
46Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
47Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth;
48Et l'on crevait les yeux à quiconque passait;
49Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
50Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
51On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,
52Et la ville semblait une ville d'enfer;
53L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes;
54Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes;
55Sur la porte on grava: "Défense à Dieu d'entrer."
56Quand ils eurent fini de clore et de murer,
57On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre;
58Et lui restait lugubre et hagard. "O mon père!
59L'œil a-t-il disparu?" dit en tremblant Tsilla.
60Et Caïn répondit: "Non, il est toujours là."
61Alors il dit: "Je veux habiter sous la terre
62Comme dans son sépulcre un homme solitaire;
63Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien."
64On fit donc une fosse, et Caïn dit: "C'est bien!"
65Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
66Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
67Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
68L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Notes
19] Probably Assyria, whose original capital was Assur. Back to Line
32] This is an anachronism, since Tsilla was the mother of Tubalcain (1. 44). Back to Line
RPO poem Editors
Victor E. Graham
Digital editor: Ian Lancashire
Data entry: Sharine Leung
RPO Edition
2012
Form
Special Copyright
Second edition copyright © 1965 University of Toronto Press. Reprinted with permission of the publisher, from which written permission must be obtained for any other edition or other means of reproduction.